Quand il sorti de chez lui, il pouvait croire la colère et le désespoir définitivement surmontés ; un calme monotone leur succédait, dans lequel tous les projets et tous les soucis semblaient avoir pris congé ; une seule impression emplissait l’esprit du professeur, comme après chaque bouleversement analogue, celle d’avoir vu clair dans sa situation, d’être allé au fond des choses ; elle lui donnait l’air plus grave que d’ordinaire, et la démarche moins alerte ; il regardait toute chose dans la rue d’un oeil plus critique et plus rêveur à la fois. N’a-t-il pas droit à se sentir quelque peu supérieur aux gens qu’il rencontre, et que parfois il salue, au notaire Weiss, à l’abbé Michelet, à M. de Bobecque, qui est son propriétaire ?… Il a parcouru le domaine de sa souffrance particulière dans tous les sens, plongé dans son petit enfer personnel ; après de telles crises, il lui semble toujours qu’il a rassemblé toute sa vie en une seule sphère très lourde qu’il peut peser et examiner à loisir ; rien d’étrange ne peut plus lui survenir, il a tout épuisé, et de cette certitude naît une sérénité triste. Le mieux est de faire son métier en conscience, et de travailler à l’Histoire de la Principauté, puisqu’elle est commencée, sans en espérer grand-chose.
Henri Thomas
Le seau à charbon
Folio Gallimard
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