Convaincue comme vous devez l’être, par ce que je vous ai déjà dit d’Augustus et de Sophia, qu’il n’y eut jamais d’union plus heureuse, je suppose qu’il n’est nul besoin de vous apprendre que leur mariage était contraire aux inclinations de parents cruels et vénaux, lesquels s’étaient efforcés en vain, avec une persévérance acharnée de les contraindre à des alliances qu’ils avaient toujours eues en horreur ; mais ils avaient tous deux, avec une héroïque fermeté, digne de mémoire et de louange, constamment refusé de se soumettre à ce pouvoir tyrannique.
S’étant magnanimement libérés, par un mariage clandestin, des fers de l’autorité paternelle, ils déterminèrent de ne jamais perdre la bonne réputation que cet acte avait pu leur valoir dans le monde, en acceptant les offres de réconciliation que leurs parents pourraient leur faire ; mais jamais la noble indépendance de leurs esprits ne fut exposée à cette nouvelle épreuve.
Ils n’étaient mariés que depuis quelques jours lorsque nous leur rendîmes visite, et ils avaient eu largement de quoi se soutenir pendant ce temps, car Augustus avait élégamment dérobé une somme considérable dans l’écritoire de son indigne père, quelques jours avant son union avec Sophia.
A notre arrivée, leurs dépenses avaient augmenté sensiblement, quoique leurs moyens d’y subvenir fussent alors presque épuisés. Mais ces êtres sublimes ne voulurent point accorder à leur embarras un seul moment de réflexion, et ils eussent rougi à l’idée de payer leurs dettes. Hélas ! quelle fut donc la récompense d’une conduite si désintéressée ? Le bel Augustus fut arrêté, et nous nous vîmes tous perdus. La noire, l’implacable perfidie de ceux qui purent commettre pareil acte, chère Marianne, choquera tout autant la douceur de votre nature qu’elle affecta, sur le moment, la délicate sensibilité d’Edward, de Sophia, de votre servante, et d’Augustus lui-même. Pour mettre le comble à cette barbarie sans exemple, on nous informa qu’il serait bientôt procédé à une saisie de la maison. Oh ! que pouvions-nous faire, sinon soupirer et défaillir sur le sofa ?
Jane Austen
Amour et amitié
traduction par Laurent Folliot
Rivages Poche
Petite Bibliothèque
Amour et amitié est un court roman épistolaire, burlesque, oeuvre d’une Jane Austen de dix-sept ans (dit-on)
Vous m’avez convaincue. Intéressant, merci!
c’est très court, heureusement parce que ce ton deviendrait crispant… mais d’abord pour connaître Jane Austen encore en brouillon, et gentiment parodique