archéologues

 

Sous certains éclairages, cette marque sur le mur semble en vérité sortir du mur lui-même. Et elle n’est pas parfaitement ronde non plus. Je n’en suis pas sûre, mais elle semble projeter une ombre à peine perceptible, ce qui me fait penser qu’en y passant le doigt, à un certain moment, je pourrais sentir s’élever et s’abaisser un petit tumulus, un tumulus tout lisse, comme ces buttes au sud des Downs, qui sont, à ce qu’on dit, soit des tombes, soit des campements. À choisir, je préférerais des tombes, car j’ai un penchant pour la mélancolie comme la plupart des Anglais, ce qui me porte à songer tout naturellement, en fin de promenade, aux os qui s’étendent sous la pelouse… Il doit y avoir un livre là-dessus. Un archéologue a dû déterrer ces os pour les nommer… Quel genre d’homme donne dans l’archéologie ? Je me le demande. Des colonels à la retraite pour la plupart je dirais, conduisant de vieux ouvriers agricoles en haut des buttes, ici, pour examiner les mottes de terre, les pierres, puis entamer une correspondance suivie avec le clergé des environ, ouvrant, non sans un sentiment d’importance, leurs lettres au petit déjeuner, et la comparaison des pointes de flèches nécessiterait d’organiser quelques randonnées, quelques expéditions jusqu’aux chefs-lieux des alentours, une agréable obligation à la fois pour eux et pour leurs épouses vieillissantes, prises du besoin de faire des confitures de prunes, ou le ménage en grand dans le bureau, et donc munies d’excellentes raisons pour que la question des campements ou des tombes reste en perpétuel balancement, tandis que, de son côté, le colonel trouve un plaisir philosophique à accumuler les indices étayant les deux hypothèses. Au final, c’est vrai, il penche pour le campement ; en réponse aux contradicteurs, il rédige une conférence qu’il s’apprête à lire à la réunion trimestrielle de la société locale lorsqu’il est terrassé par une attaque, et ses dernières pensées ne vont ni à sa femme ni à ses enfants, mais au campement et à la pointe de flèche, laquelle se trouve à l’heure actuelle dans une vitrine au musée du comté, auprès d’un pied de meurtrière chinoise, d’une poignée de clous élisabéthains, d’une grande quantité de pipes en terre d’époque Tudor, d’un morceau de poterie romaine, et du verre à vin dans lequel s’est désaltéré Nelson, prouvant – ce dont je n’ai vraiment aucune idée.

Victoria Woolf

traduction Christine Jeanney

La marque sur le mur

dans

Des fantômes sous les arbres

publie.net

https://www.publie.net/livre/des-fantomes-sous-les-arbres-virginia-woolf/

A propos brigetoun

paumée et touche à tout
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2 commentaires pour archéologues

  1. cjeanney dit :

    alors là, c’est fou Brigitte : c’est mon passage préféré de cette nouvelle ! (pour la lecture à la librairie de Bayeux, j’avais prévu de lire ce passage et un peu de la suite, jusqu’au moment ou elle parle des sorcières et des ermites tapis dans des cavernes) (mais j’ai eu un peu peur que ce soit mal interprété isolé du reste, que ce soit vu comme une remise en cause de tous les savoirs, ce qui n’est bien sûr pas le cas lorsqu’on suit la totalité du texte. J’aurais dû faire exactement le choix que tu as fait, avec ce portrait d’archéologue amateur :-)))) Merci Brigitte !!!

    • brigetoun dit :

      pas si facile de trouver le bon passage, il y en a qui s’imposaient aussi dans le Hew Fardens (j’aime le couple de jeunes amoureux avec l’ombrelle enfoncée dans le sable… ou avec Madame McNab etc…

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