La nuit sur le mont Fuji

Sans titreAvant de me coucher, j’ouvris doucement le rideau et, à travers la vitre de ma fenêtre, j’observai le Fuji. Par les nuits qu’eclairait la lune, il se dressait dans ses reflets bleu pâle, semblable à une naïade. Je poussai un soupir. «Ah, le Fuji ! Les étoiles sont énormes ! Demain, il ferait beau..» C’était là – si mince fût-elle – ma seule joie de vivre. Puis tout doucement, je refermai le rideau et j’allai dormir. «Oui, pensai-je, il fera beau demain ; et alors ? Qu’est-ce que ça pouvait bien me faire ?» Blotti dans mon futon, je souriais amèrement. Je souffrais. Mon travail – non pas tant l’acte même d’écrire : au contraire, écrire est pour moi une joie – mais plutôt autre chose : ma vision du monde, l’art, la «littérature de demain», la «nouveauté», tout cela donnait lieu à des interrogations répétées qui m’angoissaient et – je n’exagère pas – me torturaient.

Faire le choix de la simplicité, du naturel – et donc de la brièveté limpide -, et transcrire mes impressions telles qu’elles : c’était ainsi, pensais-je, qu’il me fallait écrire ; et de ce point de vue-là, je voyais le Fuji sous un jour nouveau. L’image du Fuji, son «style», avait peut-être la beauté de «l’expression simple» – et cette idée me réconciliait presque avec lui. Mais cette forme conique, avec son excessive simplicité, finissait pas m’embarrasser : si l’on aimait cela, il fallait aussi aimer les statuettes du Bonheur, que je ne peux pas supporter et que je trouve tout sauf expressives.

Dazai Osamu

«Cent vues du mont Fuji»

traduction de Didier Chiche

Picquier poche

image http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/1672023 (recadrée)

A propos brigetoun

paumée et touche à tout
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2 commentaires pour La nuit sur le mont Fuji

  1. francisroyo dit :

    Oh bien sûr que j’aime…. Merci

  2. Ping : Fran2g | Pearltrees

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