Espace de l’écriture sur internet

Je prendrai l’image utilisée souvent par François Bon pour illustrer la véritable révolution copernicienne qu’a apporté internet pour/dans l’écriture : à partir de ce tableau de Vittore Carpaccio, aujourd’hui à la chapelle Saint-Georges de Venise, montrant Saint-Augustin, sur sa table d’écriture.

À gauche, la bibliothèque ; au fond, des instruments de mesure, la science, les règles pour calculer le monde ; à droite, un globe, et le traversant, cette lumière du dehors qui vient de la fenêtre, lumière et dehors qu’il faudrait bien nommer : le monde – c’est cette lumière qui vient se poser sur la page et que Augustin vient écrire, va recueillir, non pas habité par l’intériorité seule, mais par ce bruissement du dehors qu’il reçoit, accepte, pour, je dirai presque, le recopier. Dans cette lecture de l’espace, une répartition extrêmement précise des lieux mêmes assignés à la tâche d’écrire.

Ce qu’inflige internet à cette répartition scénographique de l’espace : une condensation, et surtout un retournement. Désormais, il n’y a plus d’une part les moyens d’appréhension du réel, et d’autre part la surface où l’écrire : il n’y a plus le dehors et la surface où on le reçoit – mais le bruit du monde est cette surface même sur laquelle l’écrivain écrit : ce miroitement précisément des surfaces et des profondeurs.

Désormais, l’écran est l’espace de la bibliothèque, l’espace des instruments de sa mesure, l’espace des bruits – ses courriers personnels, sa musique, ses données privées, photographies, mais aussi le point de contact avec le dehors, les dictionnaires, l’actualité, les actualités. Ce contact avec un dehors posé sur la même surface que la page d’écriture affecte considérablement l’espace littéraire : que ce soit dans le flux d’écriture, le jeu concédé à ce qui l’oriente ou le distrait, le détourne et l’intensifie, ou dans le rapport immédiatement obtenu avec le monde. François Bon note : « Ce qui change avec le numérique, c’est le rapport de la page blanche au monde. Elle n’est plus miroir, elle est traversée. »

Arnaud Maïsetti

« sites et espaces littéraires »

dans

« sites et écritures »

http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504783

pillage paresseux et caractérisé, même la reproduction du Carpaccio provient du site d’Arnaud Maïsetti http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article649

A propos brigetoun

paumée et touche à tout
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5 commentaires pour Espace de l’écriture sur internet

  1. m.a dit :

    C’est amusant. J’avais fait un blog de voyage, discrètement littéraire, qui s’ouvrait sur ce tableau, et qui peut se remonter à partir de cette adresse: http://tadzia.tumblr.com/page/3
    Votre texte est beau, merci.

  2. L’auteur devant l’Internet, en lieu et place de sa page blanche, pourrait correspondre à cette image du précurseur McLuhan qui écrivait : Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. […] Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés. (Fragments 257-684). L’Internet pourrait-il être le point de départ de toutes les contradictions et le rassemblement de toutes les tendances? Je réfléchis.

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