Tout doit disparaître – Éric Pessan

Photo http://www.lestroiscoups.com/

ANDREAS – Il faut m’imaginer, et il faut imaginer la dernière parole de ma mère, juste après qu’elle m’a dit ce truc incroyable comme quoi je dois me déshériter parce qu’à force de vouloir acheter, mes parents ont consommé beaucoup plus qu’ils ne pouvaient payer, parce qu’ils sont surendettés à plus de 70% et qu’ils vont en mourir.

L’ADOLESCENT – Lui, je l’ai mitraillé, j’ai saturé la mémoire de mon téléphone à force.

LE JOURNALISTE – Document n°4. Sur cette photographie, le visage de l’homme est nettement identifiable. Il pousse le linéaire qui bascule en arrière et regarde vers l’objectif.

LE VIGILE – J’ai zoomé sur un homme, ce qu’il faisait était incroyable. Au lieu de chercher à gagner la sortie ou de s’emparer des marchandises comme tous les autres, il saccageait tout. Je l’ai vu s’amuser à envoyer balader le contenu de dizaines d’étagères. Encore que le verbe s’amuser ne soit pas vraiment approprié. Il faisait preuve d’une incroyable violence.

L’ADOLESCENT – Comme un possédé, il shootait dans tout ce qu’il voyait, il éventrait les emballages, il arrachait les étagères, il cognait, tapait. Les gens piquaient des ordinateurs, mais lui il les massacrait.

ANDREAS – Il faut imaginer ce qui s’est passé dans ma tête, lorsque ma mère a ajouté d’une voix triste et résignée : « Et dire que les soldes commencent lundi et que je ne pourrai pas en profiter. »

LE VIGILE – Longtemps j’ai observé ce type, j’avais enregistré son visage, on pourrait le retrouver. Il semblait vouloir dévaster le magasin dans ses moindres recoins.

ANDREAS – Il faut imaginer cette phrase-là, tourbillonnant dans ma tête tout le week-end, une phrase lame qui entaille profondément l’esprit, parvient à se planter au creux des rêves, des espoirs, de la raison….

A propos brigetoun

paumée et touche à tout
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2 commentaires pour Tout doit disparaître – Éric Pessan

  1. Belle confusion entre réalité et virtualité; me semble-t-il. Comme je suis curieux, j’ai lu Céline Doukhan, lestroiscoups.com : « Neuf morts et une centaine de blessés, tel est le bilan de ce drame de la société de consommation qui, raconté par ces personnages, a l’air à la fois horrible et affreusement possible ». Terriblement intéressant.

  2. Michel Benoit dit :

    Comme on le (les) comprend !

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