La «corderie» est une forme de réponse à mes silences, à mes hésitations, à mes colères, à mes injustices, à mes maladresses ; elle est consigne aussi et témoin, trace fragile et pierre sur laquelle tout embrasser, et les vivants et les morts ; elle est un ciel ouvert, la balance des jours (quotidiens, ordinaires, répétées), le ciment des échanges, le refuge de nos peurs ; elle invite au décalage, au décentrement, au déplacement, au mouvement et même à l’immobilité en mouvement ; elle est une vitre derrière laquelle continuer à être relié au monde et aux autres, quelque temps après les événements et sans jamais à les contourner ni à les modifier (vaine entreprise pourtant), une vitre contre laquelle je pose mon front, une vitre qui a le pouvoir de faire revenir l’enfant flou en moi, ceux qui avancent à tâtons sur nos fils de rien qui sont notre plus grand trésor (notre ligne de vie) et ceux qui ont vécu avant moi, à qui je suis relié par un fil (au moins un sinon plus), une vitre que je viens lécher, que je voudrais ne pas briser, la vitre grâce à laquelle continuer derrière la baie à embrasser le monde, à espérer en l’être humain alors même qu’il me fait honte souvent, une vitre sur laquelle s’inscrivent un temps nos attentes, les moments de grâce, les vertiges et les troubles, une vitre sur laquelle, impuissant et obstiné, je cherche à tracer les contours imprécis du monde d’où nous venons, ce monde vers lequel nous retournerons un jour, boucle des boucles, et qui ressemble au vôtre – mais nous n’en savons rien, ni vous ni moi qui venons pourtant d’une même absence impossible à définir clairement, cette cécité absolue, cette vie sourde que nous rejoindrons tous, ce noir qui inquiète longtemps, celui des commencements, des nuits, celui de la dernière nuit (et bien que nous, les ignorants, cherchons à dompter ce vertige, rien ne pourra jamais le combler, pas même en tentant de le nommer.
Christophe Grossi
Corderie
L’atelier contemporain
un fil, une corde (pas un « premier de cordée ») solide…
non pas un premier, une étape de la cordée, entre père et fils
Vous le redis ici, Brigitte : un texte s’incarne réellement lorsque la voix de celui ou celle qui écrit se mêle à la voix de ce celui ou celle qui le lit – ce que vous faites ici avec « Corderie ». Vous lui donnez vie. Merci à vous !
merci 🙂