Cet immense trafic, dont Marseille est le foyer, est alimenté par toutes les contrées du globe, mais principalement par les divers pays du littoral méditerranéen, par l’Italie, l’Espagne, la Turquie, l’Égypte, par l’Algérie, cette France africaine qu’un railway — défiant le désert — relie à nos possessions du Sénégal et de la Guinée. Nos relations avec le Levant se sont considérablement agrandies ; de nos vieux comptoirs de Smyrne et de Beyrouth, elles s’étendent jusqu’à nos riches établissements cochinchinois, jusqu’à Pékin, la capitale du Céleste Empire, qui a été heureuse de s’associer à nos terrestres spéculations.
Il va sans dire que ce courant commercial s’effectue par le canal de Suez qui, de l’avis de tous, est bien l’une des plus utiles créations du XIXe siècle. Un poète anglais (il y a encore des poètes) a tout récemment célébré cette œuvre magnifique dans un poème de dix mille vers, dont M. Ferdinand de Lesseps est le héros. Un sculpteur de Londres, non moins enthousiaste, a eu l’idée de mettre à cheval sur le fameux canal une statue gigantesque de notre compatriote, et les vaisseaux britanniques n’oublient jamais de saluer de leurs canons ce nouveau colosse de Rhodes.
Marseille a, plus que tout autre ville marchande, profité de l’abaissement de cette barrière qui sépara si longtemps deux mers, ou pour mieux dire, deux mondes. Elle doit, en effet, la plus grande partie de son importance maritime au transit des marchandises que les États-Unis de l’Inde envoient, par le Canal, à l’Angleterre, leur ancienne métropole.
Tout concourt, d’ailleurs, à faire de notre opulente cité le centre commercial de l’univers. Grâce aux nombreux chemins de fer dont elle est la tête, ses transactions avec tous les points du continent européen sont incessantes. Aussi, quelle animation dans ses rues et sur ses quais, quelle activité fiévreuse dans ses comptoirs, quel air de satisfaction peint sur le visage de ses huit cent mille habitants ! Ici, pas de pauvres… Celui-là seul s’expose à la misère que ses mauvais penchants éloignent du travail ; mais la réprobation publique a bientôt forcé les frelons à quitter la ruche — aux abeilles seules appartiennent la considération et le droit de cité. Ceux dont le travail n’a pas été favorisé par la fortune sont assurés d’être, dans leur vieillesse, à l’abri du besoin : toutes les corporations marchandes et ouvrières ont leurs caisses de retraite.
Marius Chaumelin
dans
Répertoire des travaux de la Société de statistique de Marseille, tome XXV, 1862
repris dans
Futurs de province
anthologie réunie et présentée
par Philippe Ethuin
publie.net – ArchéoSF
http://librairie.publie.net/fr/ebook/9782371771697