Orage la nuit,ᅠle ciel soupe très sombre, brièvement éclairé par ce qui n’est pas un orage car aucun grondement, cligner des yeux à l’instant électrique dans cette zone sans murs et on doute même d’avoir perçu l’éclair – les sens se développent, saisissent l’eau gouttes collier qui toutes se répercutent, ribambelles sur épines de thuya, à cheval croupe et somnolentes sur feuilles larges de tulipier, se tiennent toutes reliées les unes aux autres – c’est pourtant impossible, de l’eau envahissante et insistante qui reprend sa place initiale, partout – on marche pied à pied très doux dans le noir, dans l’entre-gouttes déceler les coquilles qu’on voudrait protéger et leurs couleurs, dont on ne peut tenir la liste, dormantes dans l’obscur, escargot jaune paille, roulé d’aurore, aronde orange, brun de terre et le blanc nacré en support – de l’autre côté de la rue, l’autre versant sous la lumière, sur le lampadaire une affiche, bombée et agrafée de chaque côté, anecdotique, un peu minable, vertigineuse d’humain au milieu de la grande soupe noire de la nuit – sens retombés, forcés – aplatis sol usuel, corps-limite – et vers le vaste, pas eu le temps d’un au revoir
la rive, l’autre rive, celle non visible,
non accessible, comme l’autre face
d’une pièce de monnaie au sol,
est-elle au dos de ces maisons proprettes
(et même des tournesols t’as vu ?),
se saluent le matin, une vie douce ou pleine
de chambardements,
comment savoir dans cette rue qui s’assoit
sur le fauteuil rouge et pour faire quoi,
ce qui se passe dans une vie
qu’on ne peut définir ni étreindre,
sauf qu’on arrive un jour à riverside,
qu’on s’y repose, mais de quelle épopée ?
c’est si loin et peut-être qu’on est
trop las, aveugle, et qu’on ne veut
plus parler, et que manquent
trop de crépuscules,
qui sait
.
Christine Jeanney
Piquetures
Editions QazaQ