La renaissance du coeur et de la fraternité (Michelet)

« Trois formes de la nature étendent et grandissent notre âme, la font sortir d’elle-même et voguer dans l’infini.

Le variable océan de l’air, avec sa fête de lumière, ses vapeurs et son clair-obscur, sa fantasmagorie mobile de créations capricieuses, si promptement évanouies.

Le fixe océan de la terre, son ondulation que l’on suit du haut des grandes montagnes, les soulèvements qui témoignent de sa mobilité antique, la sublimité des sommets, de leurs glaces éternelles.

Enfin l’océan des eaux, moins mobile que le premier, et moins fixe que le second, docile aux mouvements célestes dans son balancement régulier.

Ces trois choses font la gamme où l’infini parle à notre âme.

Toutefois, notons la différence :

La première est si mobile, que nous l’observons à peine : elle trompe, elle leurre, elle amuse ; elle disperse et rompt nos pensées. C’est par moment l’espoir immense, un jour subit dans l’infini ; on va voir jusqu’au fond de Dieu… Non, tout s’enfuit ; le cœur est chagrin, trouble et plein de doute. Pourquoi m’avoir fait entrevoir ce sublime songe de lumière ? je ne puis plus l’oublier, et le monde en reste obscur.

Le fixe océan des montagnes ne fuit pas ainsi. Au contraire. Il nous arrête à chaque pas, nous impose une très dure et salutaire gymnastique. La contemplation s’y achète par la plus violente action. Cependant l’opacité de la terre, comme la transparence de l’air, souvent nous trompe et nous égare. Qui ne sait que Ramond, dix ans, chercha en vain le Mont-Perdu, qu’on voit et qu’on ne peut atteindre ?

Grande, très grande différence entre les deux éléments : la terre est muette, et l’Océan parle. L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains, répond à leur mouvement dans sa langue grave et solennelle. Il parle à la terre, au rivage, d’un accent pathétique, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s’adresse à l’homme surtout. Comme il est le creuset fécond où la création commença et continue dans sa puissance, il en a la vivante éloquence ; c’est la vie qui parle à la vie. Les êtres qui, par millions, milliards, naissent de lui, ce sont ses paroles. La mer de lait dont ils sortent, la féconde gelée marine, avant même de s’organiser, blanche, écumante, elle parle. Tout cela ensemble, mêlé, c’est la grande voix de l’Océan.

Que dit-il ? Il dit la vie, la métamorphose éternelle. Il dit l’existence fluide. Il fait honte aux ambitions pétrifiées de la vie terrestre.

Que dit-il ? Immortalité. Une force indomptable de vie est au plus bas de la nature. Combien plus au plus haut, dans l’âme !

Que dit-il ? Solidarité. Acceptons le rapide échange qui, dans l’individu, existe entre ses éléments divers. Acceptons la loi supérieure qui unit les membres vivants d’un même corps : humanité. Et, au-dessus, la loi suprême qui nous fait coopérer, créer, avec la grande Ame, associés (dans notre mesure) à l’aimante Harmonie du monde, solidaires dans la vie de Dieu. »

À la faveur de l’été, « la Mer » de Michelet, que je reprends régulièrement pour la poésie, pour le souffle, était revenue en première page de ma vivliothèque Internet – et aux petites heures, en hésitant à entrer dans le jour, y ai fait un petit tour (vers la fin pour une fois), http://www.publie.net/fr/ebook/9782814501348/la-mer

image trouvée sur http://www.elishean.org/?p=6186

A propos brigetoun

paumée et touche à tout
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2 commentaires pour La renaissance du coeur et de la fraternité (Michelet)

  1. Je peux comprendre que ce beau texte sur le fixe océan en trois lieux, air, terre, eau, ait pu vous émouvoir.

    « L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains, répond à leur mouvement dans sa langue grave et solennelle. Il parle à la terre, au rivage, d’un accent pathétique, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s’adresse à l’homme surtout ».

  2. Arlette dit :

    Beau texte l’océan oui !!est un équilibre entre l’imaginaire irréel et fluctuant et la terre masse dure mais il faut un peu des deux pour vivre
    Océan est vie oui !! il parle il est l’essence même de l’humain un équilibre dans ses excès

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